Dyptique d’une théorie unifiée du devenir
JEMIPO
2025
L’œuvre est délibérément scindée en deux volumes complémentaires, conçus comme les deux faces d’une même médaille :
Le Récit : un grand récit historique et cosmologique linéaire, épique et narratif, qui va du Big Bang à l’éventuel avènement d’un « quatrième règne » post-humain. Le Récit donne le souffle, la grande fresque, le « pourquoi ça bouge ».
L’Observatoire : une cartographie thématique, non linéaire, presque encyclopédique, où chaque concept clé est isolé, défini, décliné dans tous les domaines du réel (cosmologie, biologie, cognition, culture, technologie, économie, langage, art, science, mathématiques, philosophie). L’Observatoire fournit la machinerie conceptuelle précise, le « comment ça bouge » de façon universelle et rigoureuse.
Résumé
Il n’existe pas une loi unique du changement, mais une architecture stratifiée composée de processus élémentaires universels (système ouvert, énergie, information, interaction, rétroaction, VSR) qui s’organisent en trois grands « règnes » qualitativement distincts :
physico-chimique (auto-organisation et dissipation)
biologique (réplication + sélection différentielle)
cognitif-culturel (représentation symbolique + intentionnalité)
Chaque règne pirate et transcende le précédent sans le réduire. L’évolution n’est ni purement contingente ni téléologique : elle est à la fois nécessaire (contraintes physiques) et historique, aveugle et (à partir d’un certain seuil) délibérément orientable.
Synthèse du "Récit"
Imaginez un long voyage en quatre actes, porté par une voix grave et limpide, qui commence avant même qu’il y ait des oreilles pour l’entendre.
D’abord, l’aube des idées. Trois grandes intuitions se sont succédé comme des saisons de l’esprit humain : la finalité, cette certitude ancienne que toute chose marche vers sa forme accomplie, du gland au chêne, de l’enfant à l’homme, sous le regard d’un artisan invisible ; puis le mécanisme, cette nuit froide où le monde n’est plus qu’atomes et vide, horloge sans horloger, où la chute d’une pomme et la ronde de la lune obéissent à la même équation muette ; enfin l’algorithme, la découverte bouleversante de Darwin : un processus aveugle, Variation-Sélection-Rétention, capable de sculpter la vie sans dessein, simplement en laissant le hasard rencontrer le temps.
Mais l’auteur ne s’arrête pas là. Il montre que chacune de ces visions, vraie à sa manière, reste incomplète. Il faut descendre plus profond, dans la chair même du devenir : systèmes ouverts traversés de flux, énergie qui se dissipe en créant de l’ordre, information qui se replie sur elle-même pour se souvenir. De ces éléments premiers naît une grammaire universelle : interaction, rétroaction, compétition, coopération ; et de cette grammaire, l’algorithme VSR n’est plus une loi tombée du ciel, mais un théorème émergent, une ombre portée sur le mur de la caverne.
Alors seulement commence la grande ascension. Trois règnes, trois sauts irréversibles.
D’abord le règne physico-chimique : l’univers, jeune et brûlant, apprend à vieillir plus vite en inventant des structures (étoiles, galaxies, atomes lourds) pour mieux dissiper son énergie.
Puis, sur une planète tiède, le miracle : une molécule se met à se copier. Le règne biologique commence ; la réplication devient le nouveau roi, la sélection le bourreau, et la vie n’est plus qu’une ruse sophistiquée pour que des gènes voyagent à travers le temps.
Enfin, dans le cerveau d’un primate africain, une étincelle : le monde peut désormais être représenté, imaginé, désiré. Le règne cognitif et culturel s’ouvre ; la variation devient projet, la sélection devient jugement, la rétention devient mémoire collective. Pour la première fois, le changement n’est plus seulement subi : il peut être voulu.
Le récit s’achève sur une fresque éclatante : l’évolution du latin en langues romanes, la saga de l’automobile, l’histoire du jazz, trois paraboles où l’on voit danser ensemble la nécessité physique, la contingence darwinienne et le projet humain. Et à l’horizon, une question suspendue : serions-nous à la veille d’un quatrième règne, où l’évolution elle-même deviendrait un artefact conscient, programmable, terrifiant et magnifique ?
Synthèse de "l'Observatoire"
Pendant que le Récit nous emportait comme un fleuve, l’Observatoire nous invite à quitter le courant pour grimper sur la rive et devenir cartographes.
Ici plus de chronologie, plus de souffle épique : seulement des salles claires, des tables de dissection, des concepts alignés comme des instruments de précision.
Trois chapitres posent les fondations : le théâtre (système, énergie, information), la grammaire (interaction, rétroaction, sélection), l’algorithme (VSR, désormais compris comme conséquence et non comme cause première).
Puis viennent onze salles thématiques, onze domaines du réel soumis au même scalpel : cosmologie, biologie, psychologie, société, technologie, économie, langage, art, science, mathématiques, philosophie. À chaque fois la même trinité (variation, sélection, rétention) mais à chaque fois un accent différent, une couleur propre, un dialecte unique.
Dans les étoiles, la sélection récompense la stabilité gravitationnelle.
Dans le vivant, elle traque l’efficacité reproductive.
Dans l’esprit, elle écoute le prestige et la cohérence.
Dans la culture, elle suit le chemin du plus mémorable, du plus imitabile.
Dans la science, elle exige la falsifiabilité et la parcimonie.
Dans les mathématiques, elle ne tolère aucune contradiction interne.
Dans la philosophie, elle se nourrit du dialogue infini des grandes questions.
L’Observatoire n’est pas un livre que l’on lit d’une traite ; c’est une cathédrale de concepts où l’on entre et sort à volonté, un instrument d’optique que l’on braque sur n’importe quel phénomène pour en révéler instantanément la logique cachée.
L’un raconte, l’autre dissèque. Le même squelette, mais des chairs infiniment variées. L’un fait sentir le vent du devenir, l’autre en mesure la vitesse et la direction. L'ensemble forme une vision totale, rigoureuse et poétique, du grand fleuve qui emporte tout: galaxies, gènes, idées, empires.
Remarques de Yukiko ASH
Dans l’ensemble du diptyque, l’idée d’un quatrième règne (post-biologique, post-cognitif ou cybernétique) n’est jamais développée en un chapitre dédié (l’auteur reste délibérément prudent et prospectif) mais elle apparaît à plusieurs reprises, comme une ombre portée sur le présent. Voici tous les passages où cette possibilité est explicitement évoquée ou fortement suggérée :
1. Récit – Conclusion (chapitre 12 & 13, les passages les plus explicites)
Nous sommes les témoins et les acteurs d’une accélération sans précédent. La co-évolution de l’homme et de la technologie, l’avènement de l’intelligence artificielle et les avancées en bio-ingénierie sont en train de court-circuiter les règles des règnes précédents.
La variation n’est plus seulement conçue par l’esprit humain, elle peut être générée par des algorithmes.
La sélection peut s’opérer dans des mondes virtuels.
La rétention de l’information s’externalise dans le cloud, créant une mémoire collective quasi infinie.
Sommes-nous à l’aube d’une quatrième transition majeure ? Assistons-nous à l’émergence d’un nouveau règne, un règne post-cognitif ou cybernétique, où l’évolution elle-même devient un processus que l’on peut consciemment concevoir et diriger, pour le meilleur et pour le pire ?
C’est la formulation la plus directe et la plus forte : le quatrième règne est présenté comme une hypothèse ouverte, mais déjà en germe.
2. Récit – Chapitre 8 (« Le règne cognitif et culturel »)
Dès la description du troisième règne, l’auteur glisse plusieurs phrases qui préparent le terrain :
L’humanité devient la première espèce capable d’influencer, et peut-être même de diriger, son propre processus évolutif.
La co-évolution homme-technologie crée une boucle de rétroaction positive où nous créons des outils qui nous transforment, nous poussant à créer des outils encore plus puissants.
3. Observatoire – Chapitre 8 (« La prothèse du monde – mécanismes technologiques »)
C’est ici que l’idée est la plus développée de tout le diptyque (presque un avant-goût du quatrième règne) :
Nous sommes engagés dans une boucle de rétroaction positive où nous créons des outils qui nous transforment, nous poussant à créer des outils encore plus puissants.
Ce chapitre nous place au cœur des vertiges de l’évolution contemporaine, à l’aube potentielle d’une singularité technologique.
Puis, dans les dernières lignes :
La technologie est devenue une force quasi autonome qui co-évolue avec notre espèce et façonne notre monde à une vitesse vertigineuse… En retour, ces changements sociaux et cognitifs orientent la trajectoire de l’innovation future.
4. Observatoire – Chapitre 9 (« Le métabolisme des sociétés – mécanismes économiques »)
Moins direct, mais une phrase lourde de sens :
« La dynamique technologique est donc marquée par des cycles de destruction créatrice, où l’émergence d’une nouvelle technologie provoque l’effondrement d’industries entières. »
On sent que ce processus pourrait un jour s’appliquer à l’humanité biologique elle-même.
5. Récit – Études de cas (chapitre 11)
Dans l’étude de l’industrie automobile, l’auteur montre déjà comment des décisions humaines (normes écologiques, choix de consommation, ingénierie délibérée) sont en train de « pirater » les pressions sélectives darwiniennes classiques et d’orienter activement l’évolution d’un secteur entier. C’est une miniature de ce que pourrait être un quatrième règne : l’évolution dirigée.
Synthèse des caractéristiques du « quatrième règne » telles qu’esquissées
Variation générée ou fortement augmentée par des algorithmes (IA générative, optimisation évolutionniste artificielle)
Sélection partiellement ou totalement déplacée dans des espaces numériques (simulations, marchés virtuels, fitness functions explicites)
Rétention quasi infinie et instantanément accessible (cloud, blockchain, mémoire globale)
Intentionnalité non plus seulement humaine mais distribuée (systèmes multi-agents, super-intelligences)
Boucles de rétroaction positive extrêmes (accélération exponentielle)
Possibilité de redéfinir rétroactivement les règles des règnes précédents (édition génétique à grande échelle, modification cognitive, upload de conscience, etc.)
L’auteur ne tranche jamais : il pose la question, montre que les prémices techniques et conceptuelles sont déjà là, mais laisse le lecteur devant le vertige.
En cela, il reste fidèle à sa méthode : le quatrième règne n’est pas encore advenu ; il n’est qu’une possibilité logique que le troisième règne est en train de rendre réelle.
Et c’est précisément parce qu’il n’en fait pas un chapitre à part entière qu’il donne à cette idée une force encore plus grande : elle hante les marges du texte comme l’avenir hante le présent.
Yukiko ASH